lundi 23 décembre 2013

De Villa O’Higgins (Chili) à Ushuaia (Argentine)

Villa O’Higgins est un minuscule village dans un cul de sac au Sud du Chili. C’est le dernier village relié par la Carretera Austral. La route s’arrête ici. Il n’est possible de continuer que par bateau.

Village de Villa O'Higgins
Le prochain bateau est dans deux jours. J’en profite pour me reposer un peu après les 2 dernières semaines sur cette route magnifique. Petit à petit, tous les cyclos que j’ai rencontrés sur la Carretera Austral arrivent. Mes amis Jerry, Franz et Franck ainsi que le groupe de Tenerife : Jesus, Jorge et Rayones. Ça fait plaisir de se retrouver et de partager nos impressions. Cependant une chose nous inquiète et c’est le sujet de conversation principal : ce fameux bateau qui traverse le Lago del Desierto, enfin plutôt qui ne le traverse pas !


Port de Bahamondez (Villa O’Higgins) - La Carretera Austral c’était génial, encore faut il sortir de là !



En temps normal, pour continuer et passer en Argentine, ça se passe comme ça :
7 kilomètres jusqu’au port de Bahamondez,  3 heures de bateau au départ de Villa O’Higgins pour rejoindre Candelario Mancilla, puis un sentier de 22 kilomètres accessible uniquement à pied ou à vélo jusqu’à la frontière Argentine, ensuite un second bateau qui traverse le  Lago del Desierto pour retrouver la piste et faire les 37 kilomètres de ripio jusqu’à El Chalten, la première ville coté Argentin.
Le souci c’est que le bateau qui traverse le Lago Del Desierto n’est plus ou pas encore en fonctionnement. J’ai entendu plusieurs versions : le service ne commence que le 15 décembre, le bateau est en panne, la compagnie attend une autorisation, etc… bref une chose est sure, il n’y a pas de bateau. Les cyclos que j’ai croisés me l’ont confirmé. Pour traverser le lac, la seule solution est d’empreinter un sentier de 12 kilomètres qui le contourne. Selon ce que j’ai entendu et lu, il n’est déjà pas facile à pied, mais avec le vélo chargé c’est apparemment une belle galère. Certains ont mis 3 jours pour faire ces 12 kilomètres. On a pas vraiment le choix alors prend de la nourriture pour quelques jours et allons y...

Le lac O’Higgins – en route pour Candelario Mancilla
Ça commence plutôt bien, il fait beau et la traversée du lac O’higgins avec ses eaux turquoises est superbe. On débarque à Candelario Mancilla, et avec Jerry  on entame les 22 kilomètres jusqu’au Lago Del Desierto qui marque la frontière avec l'Argentine.

Candelario Mancilla qui n’est en fait qu’un embarcadère
Coté Chillien, c’est très pentu et rocailleux, comme prévu, on pousse le vélo mais on arrive quand même à faire quelques parties en  pédalant.

Enfin, on pousse quand même pas mal...
Dernier regard sur le lac O'Higgins - Vue du poste frontière chilien 
La frontière au milieu de nulle part
Coté Argentin, la piste devient un sentier étroit. Ça se complique un peu : les sacoches raccrochent de tous les côtés, quelques ruisseaux à traverser. Mais on savait à quoi s’attendre. On trouve même ça plutôt amusant. Alors on pousse, on fait de la trottinette pour passer les parties les plus étroites et on joue à l’équilibriste sur les troncs d’arbres pour passer les rivières.

Des fois ça passe...
Des fois ça casse...
En fin de journée, on arrive au poste frontière argentin sur les rives du Lago Del Desierto avec une superbe vue sur le mont Fitz Roy, bivouac de rêve
C’est le lendemain  que les choses sérieuses commencent : la traversée du Lago Del Desierto par ce fameux sentier. On part tous ensemble, mais rapidement les groupes se forment. Je fais équipe avec Jerry. Dès le début, c’est plutôt sport ! Des dizaines  de ruisseaux et rivières à traverser, des troncs d’arbres qui bloquent le chemin, de la caillasse, des zones marécageuses, des montées très pentues, des descentes glissantes, bref de quoi s’amuser.

On en bave et c'est que le début...
Plusieurs fois on s'est demandé ce qu'on faisait la
On comprend vite que c’est pas aujourd’hui qu’on va pédaler.  Alors on démonte les pédales et réorganise un peu la disposition des sacoches pour passer le bourbier. On affine nos techniques selon le terrain : on pousse le vélo à deux, on démonte les sacoches pour passer certaines zones en en faisant deux voyages, un qui lève le tronc d’arbre l’autre qui passe les vélos, chaîne humaine pour passer les sacoches, etc… Avec Jerry, on met 9 heures pour faire 12 kilomètres. 9 heures de galère, à pousser, porter et patauger dans la boue.

Jesus et jorges, l'équipe de Tenerife en renfort
Arrivé de l’autre côté du lac, encore un petit effort pour aider ceux sont encore sur le sentier. Grâce à cette entraide, on y arrivera finalement tous dans la journée. Bilan: quelques bleus, un dérailleur tordu et un compteur perdu (le 4ème !).


Tous exténués, on bivouaque ensemble après la traversée du lac
El Chalten est un village récent,  uniquement touristique, un alignement d’hôtels, de restaurants, de campings et d’agences louant du matériel de randonnée. C’est vrai que les montagnes des alentours lui donne un caractère particulier, surtout le mont Fitz Roy assez emblématique.

 Les altentours de El Chalten
C’est le paradis des randonneurs. Moi, la randonnée à pied, j’ai déjà assez donné la veille, et le mont Fitz Roy je l’ai vu sous toutes ses facettes du Nord au Sud. Du coup j’ai pas grand-chose à y faire. Je n’y reste que quelques heures le temps d'y faire une petite balade, quelques courses et remettre le vélo en état après cette traversée épique, puis je repars.


Un dernier regard sur El Chalten et le Mont Fitz Roy
Les montagnes sont derrière moi et la pampa me tend les bras. J’ai le vent dans le dos, la route est parfaitement asphaltée. C’est vraiment agréable après des centaines de kilomètres de piste. Jerry tourne vers El Calafate, moi je continue vers le Sud.


Entre El Chalten et Puerto Natales - Pampa, pampa, pampa - l'hectare de terre n'est pas cher par ici...
Ça devient une habitude, surtout en Argentine, ma carte me joue encore des tours. Sur les 430 kilomètres entre El Chalten et Puerto Natales, aucun des 8 villages qui figurent sur ma carte n'existe en réalité. J’ai toujours espoir qu’au prochain il y aura quelque chose, mais les 2 cyclistes que je croise me disent qu’il n’y a rien du tout! Juste une station essence qui vend des biscuits et des boissons sucrées au croisement de Tapi Aike . Me voilà obligé de faire les fonds de sacoches, inventer des recettes bizarres et me rationner, pour tenir jusque là. Au passage, je vous conseille d'essayer la polenta au nesquick au petit déj, c’est pas mal.

Overdose de pépitos à la station service de Tapi Aike pour fêter le passage des 50000 kilomètres
Ici plus qu’ailleurs c’est le vent qui fait la loi. Le pauvre petit cycliste (même chargé) que je suis ne fait pas le poids. En allant vers le sud, je suis sensé l’avoir dans le dos. Mais en pratique, c’est pas toujours vrai. Il souffle très fort et en permanence vers l’Est avec des rafales à plus de 100km/h. J’ai l’occasion de tester tous les côtés et je m’adapte comme je peux. De côté, je roule penché et je fais des écarts énormes à chaque rafale ; de dos, je survole la route et j'aligne les kilomètres sans éfforts ; de face, j’avance péniblement comme un escargot et j’ai les oreilles qui sifflent. En une journée, je peux faire plus de 150 kilomètres sans trop appuyer sur les pédales ou en faire 35 et terminer épuisé. 

Pampa, Pampa, Pampa... y a pas grand monde par ici...
Une fois la journée terminée, la bataille avec le vent n'est pas terminé, il faut encore trouver un endroit de bivouac bien protégé. Pas toujours facile dans ces grands espaces ouverts. Alors tout y passe, les rares bâtiments abandonnés en bord de route, un trou dans la pampa ou les quelques arrêts de bus... Les petits tunnels qui passent sous la route sont devenus mes cachettes favorites pour dormir, mais aussi pour la pause casse-croûte. 

Entre El Chalten et Puerto Natales - bivouac bien protégé du vent derrière la colline

Plus je vais vers le sud, plus les journées sont longues. Le soleil se couche vers 23 heures pour se lever vers 4 heures du matin, et même la nuit il fait encore suffisamment clair pour lire un livre. Du coup, je profite parfois de quelques rares accalmies de vent pour reprendre la route, même en pleine nuit. La sensation de liberté est immense.

Vous comprenez pourquoi je roule parfois la nuit?
Ces paysages infinis me plaisent mais il ne s'y passe pas grand chose. Les journées se résument uniquement à du vélo, rouler pour avancer. J’occupe mon esprit en regardant détaler les quelques habitants des lieux sur mon passage : des vicunas (lamas sauvages), des lièvres quelques autruches et des troupeaux de moutons. 


Ils sont partout!
J’enchaîne les jours de pampa. Les paysages se suivent et se ressemblent. Je commence à apercevoir le détroit de Magellan qui sépare la grande île de "Tierra Del Fuego" du Continent. C'est  à Puntas Arenas que je prends le bateau pour le traverser.


Punta Arenas - de l'autre coté du détroit de Magellan, la grande île de Tierra del Fuego
Débarquement sur Tierra del Fuego au village de El Porvenir 
L'Île de Tierra Del Fuego, c'est la dernière ligne droite avant Ushuaia. Je dois attendre encore un peu avant de voir les paysages que j'imagine. Le Nord de l'île est très sauvage avec encore beaucoup de pampa. Des oiseaux par centaines et beaucoup de Vicunas qui semblent moins timides que sur le continent. 


Tierra del Fuego - détroit de Magellan - Visite de Vicunias curieux au réveil dans la cabane de Pêcheur où j'ai passé la nuit
Tierra Del Fuego - encore de la pampa...
Tierra Del Fuego - Les pingouins rois de Onaisin
Ce n'est que sur les derniers kilomètres au Sud de l'île que je retrouve les grandes forêts, les lacs et les sommets enneigés. Il y a même un petit col pour arriver à Ushuaia. C'est la dernière fois que je traverse les Andes.

Tierra Del Fuego -  Le Lac Fagnano
Tierra Del Fuego -  les alentours de Ushuaia
Arrivée à Ushuaia - La fin du monde paraît-il!

Joyeux Noël et Bonne Année à tous.


A bientôt

mardi 3 décembre 2013

De Puerto Montt (Chili) à Villa O’Higgins (Chili)

Puerto Montt, située au sud du chili sur le golfe Seno de Reloncalvi, est une ville d’environ 200000 habitants qui possède un important port de commerce, de pêche et de transport.

Puerto Montt – le point de départ de la Carretera Austral
Rien de particulier à Puerto Montt. Pour moi, c’est surtout l’occasion d’aller au dernier gros supermarché avant plusieurs centaines de kilomètres. Les sacoches bien remplies, je me lance sur la Carretera Austral.

C’est parti !
La Carretera Austral ou route 7 a été initiée sous le régime militaire de Pinochet. Cette route mythique longue de 1240 kilomètres, relie Puerto Montt dans la région des lacs aux villages les plus reculés de la région d’Aysen. Avant sa construction, il fallait passer par l’Argentine pour y accéder. Ce chantier est titanesque, des centaines de ponts, des montagnes à contourner, des liaisons par bacs... Il a commencé en 1976 pour atteindre la ville de Villa O’Higgins en 2000.


Début de la Carretera Austral

Dès le début, ça s’annonce bien, c’est grand soleil, la route longe la côte, c’est plutôt plat et l’asphalte est encore présent. Je traverse de tranquilles petits villages de pêcheurs.


Village de Quillaipe

Après la première liaison en bac entre La Arena et Puelche, les montagnes russes commencent et l’asphalte laisse place au ripio (en espagnol : gravier, ce mot fait maintenant parti de mon vocabulaire). C’est beaucoup moins touristique et plus sauvage que la région des lacs.

Fermes de poissons entre La Arena et Puelche
Entre Puelche et Hornopiren

Au village de Hornopiren, je rencontre Jerry, qui vient de New york pour faire cette route à vélo. C’est avec lui que je prends le deuxième bac qui nous emmène jusqu’à Caleta Gonzalo la porte d’entrée du parc Pumalin.

Village de Hornopiren
Village de Hornopiren
On roule ensemble à travers les forêts primaires de ce parc avec des arbres immenses, des fougères et autres plantes à feuilles énormes. On a vraiment l’impression de se retrouver dans Jurassic Park. Et pour que tout ça paraisse encore plus vrai, la pluie s’invite à la fête.


Le parc Pumalin - propriété de l’américain Douglas tompkins, fondateur de la Marque « The North Face »
Les réfugiés climatiques du parc Pumalin

Ici comme partout en Patagonie - ça coule partout

La pluie ne dure qu’un peu plus d’une journée. On se considère chanceux, car en général par ici « quand ça commence ça dure une dizaine de jours consécutifs » nous disent les habitants du village de Chaiten.

Le village de Chaiten déclaré comme ville morte par le gouvernementaprès avoir été enseveli sous les cendres du volcan voisin en 2008
La Patagonie est connue pour ses paysages exceptionnels et sur la Carretera Austral, on est particulièrement gâté. De larges rivières, des cascades, des glaciers, des oiseaux de toutes sortes, des lacs,des lièvres par dizaines, des chevaux, des glaciers, des grandes forêts, avec toujours les sommets enneigés en toile de fond.

Le lac General Carrera
Les Dauphins du Fyord Queulat
Vallée du Rio Simpson
Cependant jusque Coyhaique, les travaux de revêtement de la chaussée battent leur plein. On entend plus souvent le bruit des pelleteuses que les oiseaux chanter. Un tiers de la route est déjà asphalté,  les travaux devraient être totalement terminés en 2018 selon les promesses du président Chilien. Je ne suis pas spécialement fan de pistes caillouteuses, mais je suis bien content de pouvoir profiter de cette région encore très sauvage et préservée avant qu’elle ne devienne touristique et très fréquentée une fois le revêtement terminé.

Eh Hop! Un peu plus de cailloux et de poussière


Le fyord Queulat
Les lacs sont partout
Pour le moment, les touristes que je rencontre sont quasi tous des cyclistes à sacoches. Il y en a beaucoup en été parait-il. (Janvier et Février au Chili). En ce moment, je n’en vois que quelques-uns. L’ambiance est plutôt bonne : on se croise, on se double, on roule des bouts ensemble, on se retrouve dans les villages, on bivouaque ensemble.

Les cyclistes s'attirent - ou comment se retrouver par hasard à camper à 6 dans un jardin du village de Amengual
Les alentours de Cerro Castillo
Et c'est comme ça à chaque fois que mes yeux quittent la route...

C’est vraiment très agréable de rouler dans cette région où la nature occupe la première place. Pas étonnant que cette route soit une classique du voyage à vélo. Même si les dénivelés, la pluie et les pistes caillouteuses la rendent difficile, chaque virage nous offre des paysages de carte postale. Il est assez facile de trouver des endroits de rêve pour planter sa tente. Les villages  sont authentiques et il y en a juste assez pour ne pas transporter trop de nourriture. Quant à l’eau, elle coule partout : rivières, cascades, torrents, ruisseaux…on peut souvent la boire directement sans la filtrer.



Le village de Puyuhuapi
Le plein d'eau - visez un peu la taille des feuilles! Jerry donne l’échelle
« Patagonie sans barrages » avec en arrière-plan le Rio Baker, une des rivières concernée par le projet de 5 barrages qui menace de défigurer la région

Sur le chemin, on retrouve Franz, un cycliste allemand rencontré rapidement quelques jours plus tôt. On continue donc à trois vers le sud.


Village de Cochrane  avec Franz et Jerry - Repas de "thanks giving" une fête importante pour les américains

Si on est chanceux avec la pluie, on a quand même droit de goûter au fameux vent de Patagonie pendant une journée. Celui qui vous bloque net dans une descente, qui vous mets du sable plein les yeux  et qui vous oblige à vous tenir aux arbres pour ne pas vaciller. Et quand on change de direction, ça s’apparente plus à de la planche à voile qu’à du vélo. Ça promet pour la suite…


Une des dizaines de rivières qu'on passe chaque jour
On les voit parfois sur le bord de la route
Région des trois lacs
La Carretera Austral n’est connectée à aucune autre, elle s’arrête au village de Villa O’Higgins. Plus on va vers le sud, moins elle est fréquentée. Il n’y a pas de villages sur les 230 derniers kilomètres. Elle devient même une piste cyclable après la dernière liaison maritime de Puerto Yungay à Rio Bravo. Il n’y a que deux bacs par jour, une fois que les quelques véhicules sortis des bacs sont passés, la route est à nous. On s’en prend plein les yeux avec ces paysages grandioses.


Des paysages comme ca, on ne s'en lasse pas
Village de Cerro Castillo
La Patagonie

Mais ici c’est le temps qui dicte sa loi et le paradis peut vite se transformer en galère.  Les derniers jours se passent sous une pluie continue avec en prime de la grêle et de la neige. Et pour en remettre une couche, après la première nuit de pluie, à peine sorti de la tente, le vent l’emporte comme un sac plastique avec son contenu (matelas, sac de couchage)  et la fait rouler dans le torrent ! J’ai pris l’habitude de remettre des vêtements mouillés le matin, mais se coucher dans un sac de couchage trempé c’est pas mal non plus !


Arrivée à Villa O’Higgins - la Carretera Austral, c'est fini...


Après 16 jours extraordinaires, de rencontres, de rigolades et de bon moments, j’arrive à Villa O’Higgins. La route s’arrête ici, Il n’est possible de continuer que par bateau, le prochain part dans deux jours.


A bientôt